Jean-Yves Potel

Faut-il avoir peur de la gauche en France ?

La gauche française pourrait revenir au pouvoir en 2012. C’est ce que dit en cette rentrée, le chef des députés du parti de Nicolas Sarkozy. Il en tire argument pour mettre en garde le chef de l’Etat, lui proposer des « réorientations », et à l’occasion… pour se porter candidat à la direction du parti.

Il n’a pas tort. Beaucoup d’indices vont dans ce sens. Les sondages bien sûr, même si nous sommes encore loin de l’échéance. Surtout la dégradation grandissante, unique en son genre, de l’image personnelle et de la politique du Président. Libéral et conservateur, il avait su en 2007 par un discours habile gagner des voix au centre tout en captant une grande partie de l’électorat d’extrême droite (Front national). Or, il a construit une « hyper-présidence », autoritaire et volontaire, dans la vieille tradition bonapartiste, matinée d’un style « bling bling » à la Berlusconi, et il s’est de plus en plus isolé. Pire, ses remises en cause du modèle social français, son incapacité à juguler le chômage et une politique fiscale en faveur des plus riches ont complètement dé monétarisé son fameux slogan « travailler plus pour gagner plus ». C’est l’inverse que constatent les Français. De même, il s’était présenté comme le champion de la sécurité, et après ces années la délinquance augmente, le nombre de policiers baisse, et le président se perd dans des discours et des actions xénophobes contre les Roms, condamnées par le parlement européen ! La politique de Sarkozy est maintenant contestée au cœur de son électorat, tandis que ses soutiens au centre ou à l’extrême droite se détournent de plus en plus de lui.

La gauche en profite. On aurait cependant tort de ne voir dans ce renouveau de la gauche en France qu’un front du refus conjoncturel. Depuis sa défaite historique en 2002, quand Le Pen a devancé le Premier ministre sortant, Lionel Jospin, au premier tour des élections présidentielles, la gauche française a connu une grave crise et de profonds bouleversements. Aujourd’hui suite à une redistribution des électorats après les élections européennes et régionales, et de nombreuses remises en cause internes, ses différentes composantes semblent connaître, chacune à leur rythme, des aggiornamentos qui pourraient déboucher sur une alternative solide à Sarkozy en 2012. Une gauche nouvelle, libérale et sociale, plus à l’image d’un Barak Obama que de la tradition révolutionnaire française. Est-ce un hasard si, en cet automne 2010, le candidat le plus crédible aux élections présidentielles face à Nicolas Sarkozy, celui que les sondages donnent gagnant dans tous les cas de figures, est Dominique Strauss-Kahn, l’actuel président du FMI ?

La gauche française ne saurait être réduite, ni par ses programmes ni par ses traditions, à l’idéal révolutionnaire d’un homme nouveau longtemps chanté par les communistes. Au contraire, sa principale composante, le parti socialiste refondé par François Mitterrand, s’est toujours située dans une perspective social-démocrate, c’est-à-dire de reformes sociales dans une économie de marché. Parti de gouvernement, il prône la voie des réformes démocratiques par la loi, tout en s’appuyant sur les mouvements sociaux et les aspirations de la société civile. Evidemment, sa pratique gouvernementale dans les années quatre vingt et quatre vingt dix, a souvent déçu. Malgré des acquis certains – abolition de la peine de mort, 35 heures et retraite à 60 ans, politique culturelle, droits des femmes, libération des médias et politique européenne, etc. – le parti socialiste a suscité au moins deux grands mécontentements. D’une part, ses concessions sociales aux marchés et à la mondialisation ont été jugées excessives (notamment dans des domaines comme la santé, le logement ou l’emploi), alors que d’autre part, son adaptation aux changements du vingt et unième siècle a été trop lente, il a conservé sur bien des points des orientations archaïques (notamment sur les questions d’environnement et de modèle productiviste de développement).

C’est pourquoi s’est affirmée une composante écologiste que l’on peut classer au centre gauche, même si certains de ses membres sont plus radicaux, qui a réuni entre 15 et 20% de l’électorat sous le label « Europe écologie ». Animée par Daniel Cohn-Bendit, elle se veut libérale, sociale et porteuse d’un nouveau mode de développement et de vie, fondé sur une économie de marché régulée selon de nouveaux critères respectueux de la planète et du lien social.

A l’extrême gauche se maintient un petit courant qui peut espérer entre 5 et 8% des suffrages mais qui, ne pouvant s’entendre sur une perspective positive, se limitent à tenter de fédérer les contestations. On y trouve pêle-mêle, des réformistes radicaux venus du PS, des communistes, des altermondialistes et diverses variantes du trotskisme.

Mais dans l’ensemble, ce qui donnera le ton dans les années à venir c’est bien une nouvelle gauche sociale-libérale, écologiste et réformiste. Elle peine encore à se désigner un leader, elle est toujours sujette à des querelles de personnes et à diverses nostalgies, mais elle est incontestablement, le creuset dans lequel se prépare aujourd’hui, en France, une solution alternative aux aventures de Nicolas Sarkozy. Faut-il en avoir peur ? Je ne crois pas. Bien au contraire. Il me semble que si cette gauche réussit, elle pourra être une expérience inspiratrice, comme celle d’Obama aux Etats-Unis ou de Lula au Brésil.

* Jean-Yves Potel, Dr hab. en Science politique et essayiste français. Ouvrages disponibles en polonais : Francja, ta sama czy inna ?, Collegium Civitas/Trio, Warszawa 2009 ; Koniec niewinności, Polska wobec swojej żydowskiej przeszłości, Znak, Krakow, 2010.